Nombreux sont les lecteurs d’auteurs “traditionnels” comme Evola, Guénon et d’autres qui se demandent comment mettre en pratique cette vision du monde. Le passage du cérébral à l’acte, quel qu’il soit, s’avère difficile et délicat. Pourtant, il est indispensable pour celui qui, soucieux d’authenticité, veut réellement faire sien et incarner ce qui a été lu. Cela doit être la conséquence de toute lecture portant sur l’essentiel. Sinon celle-ci devient lettre morte, donc vaine.
L’ambition du livre de Victor Sanchez, Les enseignements de Don Carlos, est justement d’inciter les lecteurs de Carlos Castañeda à accomplir un travail sur eux-mêmes. Pour cela, après une présentation des principaux éléments de la pensée de Castañeda, il expose différents exercices qui visent précisément à réaliser en soi-même, seul ou en groupe, ces enseignements.
Il convient de rappeler en quelques mots le parcours de Carlos Castañeda. Etudiant américain en anthropologie au début des années 60, il entre en contact, pour les besoins de sa thèse, avec un vieil indien yaqui, Juan Matus. Ce dernier, détenteur d’un savoir ancestral de type chamanique, fut le maître spirituel du jeune étudiant. Celui-ci a rapporté par la suite ces années d’expériences qui l’ont totalement transformé dans neuf ouvrages (1). Son œuvre connaît un succès international.
Victor Sanchez est un Mexicain qui depuis de nombreuses années expérimente au sein de groupes qu’il a constitué les traditions chamaniques des indiens, notamment des Huichols et des Nahuas, tribus du centre du Mexique au sein desquelles il a longuement séjourné. Il a également, par la suite, rencontré Castañeda. C’est donc l’ouvrage d’un “opératif” qui n’est pas sans rappeler les études regroupées sous le titre Ur et Krur de Julius Evola.
Le point capital de la pensée de Castañeda est l’affirmation qu’il existe une autre réalité à laquelle il est possible d’avoir accès grâce à un travail sur soi-même. Il appelle tonal la réalité ordinaire et nagual, l’autre réalité, infiniment plus vaste et plus complexe que la première. Celui qui part en quête de cet autre monde et qui tente de relier en lui les deux réalités est nommé le guerrier (il rejoint un thème cher à Evola, à savoir celui de la grande guerre sainte, c’est-à-dire du combat intérieur —par opposition à la petite guerre sainte, la lutte temporelle de l’être en quête de la Connaissance. Le guerrier, nous dit Sanchez, recherche l’impeccabilité, il faut entendre «donner en tout le meilleur de lui-même, utiliser toutes les ressources de l’énergie» (p.54). Pour cela il s’appuie sur sa résolution et sa volonté. Pour parvenir à ses fins, il lui faut préserver et même accroître son énergie ou pouvoir personnel. Une des économies d’énergie des plus substantielles est réalisée par l’abandon de l’ego. En effet, «nous vouons la plus grande part de notre énergie à des activités liées à l’importance personnelle, qui dépasse largement ce que nous appelons la vanité. L’importance personnelle, c’est la forme qu’adopte notre moi pour manipuler la réalité afin de se réaffirmer et de se convaincre qu’il est bien réel» (p.76).
Parmi les autres thèmes, et techniques attenantes, qui sont développés, citons: L’art du guet, Le “non-agir” du moi, qui a de fortes similitudes avec les enseignements taoistes, Arrêter le dialogue intérieur, qui est également un thème central dans la pratique du bouddhisme zen, Gouverner les rêves, etc.
Il peut paraître étrange de s’inspirer d’une pratique chamanique méso-américaine pour des Européens. Mais celui qui a quelque peu travaillé les traditions indo-européennes y retrouvera nombre d’éléments identiques. Il est vraisemblable, pour ne pas dire certain, que le fond religieux indo-européen est chamanique. Malheureusement, cet héritage n’est plus depuis longtemps opératif. Les diverses “sorcelleries” et les sagesses populaires ne sont que des bribes transmises en-dehors de toute véritable connaissance, ce qui a conduit à une dégénérescence. Il est pour nous vital de retrouver la source d’où proviennent ces traditions. D’ailleurs, c’est là le sens de la quête du Graal. Les travaux comme celui de Victor Sanchez sont susceptibles de nous aider, par comparaison, à mieux comprendre et à vivre nos plus lointaines racines ainsi qu’à retrouver notre être le plus profond.
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Victor Sanchez, Les enseignements de Don Carlos. Applications pratiques de l’œuvre de Carlos Castañeda, Editions du Rocher, 1996.
Note:
(1) Le premier, Les leçons de don Juan, a été publié en France pour la première fois en 1972 sous le titre L’Herbe du diable et la petite fumée. Le neuvième est paru en français en 1994, aux éditions du Rocher. Il s’intitule L’art de rêver. Il est actuellement disponible en livre de poche, comme la plupart des autres ouvrages de Castañeda.
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES – 1995.
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