Saint-Loup “revisité”

saintloupLe terme d’éveilleur de peuple rassemble une vaste armée dont aucun des volontaires ne porte tout à fait le même uniforme ni ne parle le même langage. Pourtant, Saint-Loup en est. Incontestablement. Éveilleur ? Sans nul doute et on ne compte plus tous ceux dont ses livres ont dangereusement transforme la vie. De peuple ? Celui qu’il imagina et ressuscita était tout à la fois très concret et très abstrait. Il ne portait pas le nom d’une province ou d’une nation, ni même d’un continent. C’était une idée, une idée magnifique, à laquelle il avait donne le nom de « patrie charnelle » et où chacun pouvait retrouver et servir son bien le plus précieux. C’est à dire sa terre et son peuple. Si les livres de Saint-Loup ont donne le signal d’une révolution, c’est sans doute parce que — ­le premier — il a contribué à substituer au vieux terme “nationalisme” un concept infiniment plus moderne et plus porteur : “identitaire”. Révolution d’autant plus sensible qu’il n’a jamais pris la peine de s’expliquer sur cette transformation, qui pourtant coulait de source, comme un ruisseau aigrelet au cœur de la forêt enchantée.

Une quinzaine d’années après sa mort — le 16 décembre 1990 — il est temps de prendre à nouveau la véritable mesure de celui dont nous célébrerons le centenaire le 19 mars 2008. Un peu de patience. Viendra dans 3 ans cette cérémonie que nous voulons à son image placée sous le signe du grand espoir et du petit nombre. Car Saint-Loup n’est pas un personnage public et encore moins médiatique. Il n’est pas non plus le “gourou” de quelque secte. Aucun autre terme ne convient mieux à ce montagnard emblématique que celui de “guide”.

Il reste, à jamais, l’homme des vents et des sommets. Certes, il ne s’éloigne pas. Mais de plus en plus nombreux sont ceux qui ne l’ont pas connu, avec son visage burine de skieur et de motard, ses indociles cheveux de neige, sa pipe à l’insupportable odeur et surtout ce regard bleu clair qui semblait toujours fixe, au-delà de son interlocuteur, sur quelque lointain royaume invisible du commun. Il faut le dire, son vieux maître Alphonse de Châteaubriant (dont il se moquait parfois un peu en l’appelant « le Burgrave ») l’avait marque au fer rouge. Saint-Loup portait sur son front un tatouage de feu, pénétrant jusqu’à un cerveau dont les circonvolutions évoquaient les plus insolites sentiers du Val Sans Retour.

Il aurait pu être Breton, en un pays ou il n’aurait certes pas étonné. Il était tout simplement fils d’un père charentais ou vendéen et d’une mère auvergnate. Il naquit à Bordeaux sans être girondin (si ce ne sera, par la suite, politiquement, dans le sens d’anti-jacobin). Il aura au moins une chance : le côté maternel de la famille étant catholique et le côté paternel protestant, le jeune Marc échappera au baptême et ne pourra se targuer de quelque influence évangélique, contagieuse comme une maladie d’enfance.

gotterdammerungPensionnaire à 12 ans au lycée de Bordeaux, bachelier à 18, il rêve de piloter un avion mais devra se contenter d’une moto. Dès ses 20 ans, il devient l’homme des grands raids sur 2 roues. Il est dommage que l’on sache peu de chose de cette époque de sa vie, si ce n’est le calendrier de quelques expéditions lointaines. L’important est qu’il fut un homme qui ait vécu l’aventure avant de l’écrire. Ce sera une constante de toute sa vie. Chez lui, aucun hiatus entre la pensée et l’action. Et la politique ? Lors du Front Populaire, à 28 ans, il est chargé de mission auprès de Léo Lagrange, secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports. Il s’enthousiasme pour les Auberges de Jeunesse et le fait qu’elles soient une création d’origine germanique ne le gêne en rien. Il est déjà internationaliste et, bien entendu, pacifiste.

À 30 ans, il se rend à New York pour un congrès où il découvre avec effroi le bellicisme des antifascistes obsessionnels. La lecture de La gerbe des forces de Châteaubriant fera le reste. S’y ajoutent les livres de Jean Giono. Le voici aux rencontres du Contadour. À la veille de la guerre, comme sentant venir l’orage, il veut dire adieu au monde ancien au cours d’un Solstice d’hiver en Laponie, suivi d’un séjour en Grèce. Après le Grand Nord, le Grand Sud. L’Europe qu’il découvre et qu’il aime est celle des extrêmes et des sommets, à commencer par la Jungfrau (4.166 m.).

L’armistice venu, on le retrouve à La Gerbe de Châteaubriant. Journaliste, certes, mais déjà hanté par l’idée de devenir le guide que suivront quelques adolescents désorientés par la défaite et l’occupation. Il fonde le mouvement des Jeunes pour l’Europe Nouvelle, prenant déjà ses distances avec les partis gaulois qui se disputent une juvénile clientèle. Et comme il n’aime pas envoyer les autres au casse-pipe sans y aller lui-même, il partira sur le front de l’Est comme sergent de la LVF, histoire de prendre ses distances avec les planqués de la collaboration parisienne. La suite, on la connaît : la sortie en 1945 par les sommets du Val d’Aoste pour rejoindre l’Argentine et le retour en 1953, où il manque de peu le Goncourt. Pour une fois qu’on aurait pu couronner un authentique aventurier !

Ceux qui veulent en savoir davantage devront essayer de se procurer l’introuvable témoignage d’une vingtaine de ses amis publiant en 1991 Rencontres avec Saint-Loup. Et puis il y a le livre de Jérôme Moreau Sous le signe de la roue solaire (Æncre, 2002) auquel vient de s’ajouter l’essai de son ami boer Myron Kok Tel que Dieu nous a voulus. Quant à revenir à ses livres, nous avons le choix. On en compte une trentaine, dont aucun n’est inutile à une âme bien née. Car notre “guide” est aussi, tout naturellement, un éducateur. Ses ouvrages appartiennent à cette catégorie littéraire bien ciblée qui bénéficiait, de l’autre côté du Rhin, d’un label un peu insolite mais encourageant : « pour la jeunesse et pour le peuple ». Propagande ? Pas plus et pas moins que le grand Corneille que l’on étudiait dans les classes et que jouait Jean Vilar à Avignon.

les-volontairesLe “héros” de Saint-Loup n’est pas un être simple, estampillé par le Parti, l’Église ou l’État. C’est au contraire, toujours, l’homme d’un conflit ; il doit tout à la fois affronter son destin et choisir sa route. Dans la solitude et le silence des sommets et des combats. On peut craindre que ce côté “rude école” nietzschéenne soit peu sensible aux lecteurs qui demandent des certitudes c’est à dire du prêt à porter intellectuel et dont l’effort ne va souvent pas plus loin que de tourner les pages. Ce qui est étrange chez Saint-Loup, c’est cette grande partie de son public qui n’est pas toujours digne de lui, faute de réflexion, d’épreuves et tout simplement de volonté. Dans ce sens, il n’est pas un auteur facile comme croient ceux qui s’en tiennent aux décors et aux attitudes. D’autres avant lui ont connu cette méprise de ceux qui remplacent les leçons d’énergie par leur seul plaisir et leur seule faiblesse. Malraux ou Giono ont provoqué de telles trahisons.

Sur la fin de sa vie, après trois quarts de siècle bien remplis, il cédait un peu à la facilité de se savoir admiré sans se soucier de la qualité humaine de ses admirateurs. Il était devenu indulgent à ses amis et à ceux qui se disaient tels, ayant un peu perdu ce que Jean Turlais, son cadet, nommait la « vertu d’exigence ». Il nous reste ses livres. Cela vaut mieux que de partager nos souvenirs, qui sont, toujours, du passé. Les livres, eux, sont le présent et même l’avenir. Surtout l’avenir. Car il est banal de dire que Saint-Loup était une sorte de prophète. Les livres, donc. Pour en parler, point n’est besoin de respecter l’ordre chronologique de leur parution. J’ai toujours cru que Les copains de la belle étoile, qui date de 1942 et où revivait l’aventure des Auberges de Jeunesse contenait déjà TOUT de l’univers du futur Saint-Loup qui ne s’appelait encore que Marc Augier. Y sont déjà présents les grands thèmes auxquels il restera toujours fidèle : la moto, la montagne, le paganisme, l’amitié. Et l’omniprésence de toutes les forces telluriques, dont l’actuelle écologie n’est qu’un pâle reflet. Ce livre de l’avant-guerre peut se lire dans l’après-guerre. Preuve que Saint-Loup n’est pas l’homme d’une époque mais d’une vision du monde. Et qu’il fut profondément fidèle à l’objurgation de Kipling :

Si tu peux rencontrer
Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs
D’un même front.

Est-il possible de classer ses livres de façon à aider ceux qui aujourd’hui voudraient venir à sa rencontre ? Ce sont, incontestablement, ses récits de guerre qui ont entraîné les autres. Les titres sont restés célèbres : Les Volontaires ; Les Hérétiques ; Les Nostalgiques, auxquels s’ajoutent leurs camarades de combat espagnols, flamands, wallons ou afrikaners, sans compter l’étrange Sergent Karacho. Au-delà de l’Histoire, il a retrouvé le Mythe. Et c’est le principal. C’est là une totale innovation, beaucoup plus puissante et même fondatrice que la véridique description des paysages, des événements, des personnages. En ce sens son héros Le Fauconnier est emblématique, même s’il n’est pas nécessaire de croire qu’il a vraiment existé. Il m’est arrivé d’interroger après lui des acteurs et des témoins. Cela m’a donné l’occasion de découvrir à quel point il savait créer une vérité qui était la sienne, beaucoup plus exaltante qu’un Journal de marche et d’opérations. S’il fallait choisir le meilleur de ces livres, je mettrais sans nul doute en premier Les Volontaires car on y retrouve le reflet de ce que fut sa propre expérience au temps des Partisans.

le-boer-attaquePassons sur ses ouvrages consacrés aux géants de l’automobile : Renault de Billancourt, Marius Berliet l’inflexible, Dix millions de coccinelles. C’est du bon, très bon reportage par un homme aussi à l’aise au volant d’un bolide que devant sa machine à écrire. Reportages aussi Le ciel n’a pas voulu, La mer n’a pas voulu et surtout La montagne n’a pas voulu. Dans ce dernier livre, nous ouvrons les portes de son univers le plus exaltant et le plus personnel. Plus encore qu’un écrivain guerrier, il a été un poète montagnard : Monts pacifiques, Montagne sans Dieu et surtout Face Nord, qui restera peut-être son meilleur livre, moins ambitieux mais encore plus dur et plus vrai que La nuit commence au cap Horn, pourtant digne des maîtres anglo-saxons du genre, Melville, London, Conrad.

La peau de l’aurochs n’a pas eu le public qu’il méritait. Il date de 1954. Un demi-siècle ! Ceux qui l’ont aimé en gardent un souvenir inoubliable. Il y a bien sûr le fameux cycle des patries chamelles où je ne suis pas certain qu’il ait été à la hauteur de ses intentions. Certes, il commence très fort avec Nouveau cathares pour Montségur, où son enthousiasme ferait oublier que ces “parfaits” étaient justement les pires des chrétiens malgré les fantasmagories de ce pauvre Otto Rahn. Plus de pardons pour les Bretons est assez insupportable à qui est un peu familier du trio historique Mordrel­ – Debauvais – Laine. Pas commode de réussir un roman historique contemporain et on peut préférer sur le même sujet La prison maritime de Michel Mohrt.

Il préparait d’autres voyages à travers ces fameuses patries chamelles et avait interrogé des Corses, des Alsaciens, des Normands. La trouvaille géniale était dans l’intention, même si ce cycle ambitieux risquait d’atteindre les sommets de l’impossible et de l’inutile. Il lui fallait aller plus loin. Et ce furent les 2 réussites, incontestables à mes yeux, d’Une moto pour Barbara, ce roman de l’éternelle jeunesse dangereuse, et surtout La République du Mont Blanc, ou la « patrie chamelle » devient surréelle à force d’être irréelle. En 1982, à près de 75 ans, il a inventé une histoire admirable de dureté et de pureté, où la haute montagne devient non plus décor mais voie. Voie vers la sagesse suprême, celle qui procède de la neige et de la glace, du soleil et des étoiles. La Table Ronde qui le publia alors avait compris que ce Brocéliande des sommets pouvait devenir le haut-lieu de notre Europe à jamais couleur d’edelweiss.

[Terre & Peuple n°22, hiver 2004; v. http://vouloir.hautetfort.com/].

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Segui Jean Mabire:
Jean Mabire (Paris 8 février 1927 - Saint-Malo 29 mars 2006), était un écrivain, journaliste et critique littéraire français, engagé des milieux régionalistes normands et de l'extrême droite française, proche de la Nouvelle droite. Il est l'auteur de nombreux livres consacrés à l'histoire, notamment à la Seconde Guerre mondiale et aux Waffen-SS.

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