Pierre Guillaume

On a pu lire, il y a quelques semaines, dans cette page le compte rendu par Jean Roberto du livre que Pierre Guillaume avait consacré à ses aventures de mer, de terre et de prison: Mon âme à Dieu, Mon corps à la patrie, Mon Honneur à moi. Ainsi nous pouvions revivre quelques épisodes de la vie de ce lieutenant de vaisseau atypique et découvrir que ce marin – qui aurait été à l’occasion corsaire, plaisancier ou navigateur solitaire – était aussi un écrivain, et un des meilleurs quand il s’agissait d’évoquer la mer et des colères.

Quelques semaines plus tard, les éditions Perrin faisaient paraître la biographie que Georges Fleury consacrait au même personnage, ressurgi à quelques jours d’intervalle de ses propres mémoires pour devenir le héros d’une sorte d’épopée vécue au quotidien d’une vie dangereuse: On l’appelait le «Crabe-Tambour». Pierre Guillaume n’apparaissait plus alors comme un écrivain, mais comme un homme en proie à toutes les passions, à commencer par celle de l’océan et à terminer par un dernier combat contre la maladie et la mort, en passant par la plus longue de ses navigations, cette fois immobile: un long séjour en prison, où il côtoyait en fraternelle simplicité, quelques-uns des grands ténors du combat pour l’Algérie française, pour la plupart soldats des armées de terre, de mer et de l’air, n’ayant pas pour tradition d’amener le pavillon à l’issue du combat.

Fort heureusement, ce second livre ne contredit pas le premier – on s’en serait douté – mais le précise sous la plume d’un ancien des commandos marine de la frontière algéro-marocaine devenu grand spécialiste du récit militaire.

Pierre Guillaume est né le 11 août 1925 à Saint-Malo. Il est le fils d’un officier de carrière, Maurice Guillaume, qui, après avoir servi avec Lyautey au Maroc, devint l’aide de camp du président de la République Paul Deschanel – celui qui tomba d’un train en des circonstances mystérieuses. Résolument anticommuniste, on le trouve mêlé de loin et même sans doute de près aux activités de la «Cagoule» et il dirige un journal au titre sans équivoque de Choc. Anti-allemand mais fidèle au maréchal Pétain, il se trouvera emprisonné pendant de longs mois lors de l’Epuration, sans qu’on parvienne à lui reprocher grand-chose avant de le libérer. On comprend que ses deux fils resteront marqués par cette mésaventure, qui n’empêchera pourtant pas Jean-Marie d’entrer à Saint-Cyr ni Pierre à l’Ecole navale, tout en restant l’un et l’autre très réservés sur la personne et la politique du général De Gaulle.

Après un stage à Pont-Réan, voici le cadet embarqué sur le Somali, comme simple matelot, ainsi que le voulait l’usage de l’époque. Puis c’est le retour à Brest et le galon d’enseigne qui marque l’entrée dans la carrière de Pierre. Il embarque sur le Commandant de Pimodan, qui fait partie de la flottille des avisos et dragueurs d’Indochine.

Ce premier séjour en Extrême-Orient va le marquer à jamais et il y contracte ce que certains appellent le «Mal jaune», passion inguérissable pour un pays exotique et son peuple. C’est au Cambodge qu’il va connaître son baptême du feu. Il découvre la véritable guerre civile qui oppose les milices catholiques et les partisans viêtminhs. Cet aspect révolutionnaire le frappe profondément.

Après avoir servi à Lorient dans les sousmarins, Pierre Guillaume part en mission aux Etats-Unis et affronte une terrible tempête en ramenant les deux bâtiments qu’il était allé y chercher. Le voici de nouveau en Indochine où il sert dans une Dinassaut, à bord de ces bâtiments légers qui ne cessent de briquer les fleuves pour mener la vie dure aux ennemis tapis sur les rivages hostiles.

De cette époque datent les fameuses photos où l’on voit le jeune officier de marine installé confortablement dans un fauteuil de mandarin boulonné sur le toit du LCVP qui lui sert de vaisseau-amiral. Il est en train de gagner une réputation d’original qui le suivra durant toute une carrière se déroulant dans les coins parfois les plus pourris du Vietnam du Nord comme du Vietnam du Sud.

Promu lieutenant de vaisseau, il ne se berce pas d’illusions et sait que cette guerre à l’autre bout du monde ne peut que mal finir. Une de ses missions n’est-elle pas d’embarquer en catastrophe les populations civiles essayant d’échapper à l’étau des forces rouges en pleine offensive?

Le drame des «boat-people» marque la fin d’un monde. Comme beaucoup d’autres militaires français, il se jure de ne plus jamais laisser massacrer ceux qui avaient fait confiance aux promesses de la France. Quand vient le moment de regagner le vieux monde, Pierre Guillaume décide de s’embarquer non pas à bord d’une jonque, comme le prétendra la légende, mais de mettre son sac à bord d’un ketch à bouchains vifs de huit mètres de long, le Manohara, sur lequel aucun de ses camarades n’a voulu le suivre. Commence alors une assez prodigieuse épopée à travers l’océan Indien, où Pierre Guillaume se montre digne des grands navigateurs solitaires, réalisant un de ses rêves les plus fous: Singapour, le détroit de la Sonde entre Sumatra et Java, les îles Chagos au grand sud des Maldives, les Seychelles… Et c’est l’arrivée acrobatique sur la côte de Somalie où il ne sait plus très bien s’il est naufragé bien accueilli ou prisonnier de quelques indigènes belliqueux.

Le bateau n’y survivra pas mais Pierre arrivera à Orly à la fin de l’année 1956. Il apprend alors que son frère Jean-Marie est tombé à la tête d’un commando de parachutistes coloniaux.

L’officier de marine décide alors de demander sa mutation pour l’armée de Terre afin de remplacer son aîné à la tête de l’unité qui porte son nom. Il va ainsi vivre une expérience dangereuse et efficace qui annonce celle des commandos de chasse qui ne vont pas tarder à être implantés dans toute l’Algérie. Il s’agit de s’infiltrer en territoire hostile à la faveur de la nuit, d’observer pendant des journées entières de «chouf» et de renseigner par radio le commandement afin que soient portés quelques coups décisifs contre un adversaire qui découvre des combattants capables de mener la même guerre que lui faisant des ténèbres et de la ruse ses alliés.

Pourtant «La Royale» le réclame. Il sera affecté à l’état-major d’un… aviateur, le général en chef Challe qui sera fort impressionné par les méthodes des commandos et dont il fera à travers toute l’Algérie une véritable institution. Quand arrive le «putsch des généraux» d’avril 1961, le lieutenant de vaisseau Guillaume se rallie d’enthousiasme à ce sursaut et tentera en vain de «faire basculer» les autorités maritimes de Mers el Kébir dans le camp des révoltés.

Son attitude impressionnera tellement les juges du petit tribunal militaire qu’il ne sera condamné qu’à quatre ans de prison avec sursis. Le voici chassé de l’armée, privé de son grade et de sa Légion d’Honneur, mais libre.

Il en profitera pour tenter de rallier d’autres marins à l’OAS et jouera un rôle important au sein de l’armée secrète, dont il devient vite un acteur capital, après avoir clandestinement regagné l’Algérie. Il ne peut que se faire capturer un jour ou l’autre. Ce sera le 24 mars 1962 en Oranie.

Jugé pour la seconde fois, il aura, avant d’affronter le tribunal, une seule réaction que nous rapporte avec beaucoup d’exactitude Georges Fleury: «J’ai fait tout ce que j’ai pu afin de tenir ma parole. Je suis seulement désolé que ça n’ait pas marché. Si c’était à refaire, je ne changerai rien. J’ai perdu… Ils vont sans doute me fusiller… C’est normal».

Il échappera au poteau, vivra longtemps dans le port de Saint-Malo à bord de son voilier L’Agathe avant d’être rattrapé par la mort en 2002.

* * *

(National-Hebdo n. 1133 – 6-12 avril 2006).

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Segui Jean Mabire:
Jean Mabire (Paris 8 février 1927 - Saint-Malo 29 mars 2006), était un écrivain, journaliste et critique littéraire français, engagé des milieux régionalistes normands et de l'extrême droite française, proche de la Nouvelle droite. Il est l'auteur de nombreux livres consacrés à l'histoire, notamment à la Seconde Guerre mondiale et aux Waffen-SS.

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